« 8 femmes » : petit meurtre en famille

C’est dans l’ambiance feutrée et intimiste du Théâtre Alchimic à Carouge que Jean-Gabriel Chobaz met en scène la pièce culte de Robert Thomas. A voir jusqu’au 1 avril 2015.

Image: Théâtre Alchimic

Image: Théâtre Alchimic

Sur la scène, habillée du voile obscur de la pénombre, une femme attend le spectateur d’entrée de jeu. L’intrigue est alors lancée dans un décor super-pop psychédélique, aux reflets et à l’ambiance qui renvoient tout droit vers l’enthousiasme et l’énergie du début des trente glorieuses. L’action, s’il est besoin de la résumer, se déroule en huis-clos dans un grand salon bourgeois. Huit femmes se retrouvent seules, bloquées en pleine période de Noël dans une grande maison en pleine campagne. Un homme est mort dans la chambre, abattu par un poignard planté dans le dos. Cet homme, le spectateur ne le verra pas, le jeu des mystères allant jusqu’à ne pas dévoiler ses traits. L’intrigue de la pièce prend alors tout son sens, et c’est avec délectation que le jeu des faux-semblants va voler en éclats dans cette famille de la bonne bourgeoisie française à la quête du meurtrier. Ou s’agirait-il d’une meurtrière ? Car au fur et à mesure que l’intrigue avance, comme un chat tirant sur une pelote de laine, le spectateur découvre que chacune de ces femmes avait en fait une bonne raison de vouloir tuer le malheureux.

8 femmes fait partie de ces œuvres intemporelles qui ont laissé une empreinte sur le grand public, s’inscrivant ainsi dans l’histoire de la mise en scène tant théâtrale que cinématographique. Lorsqu’il s’agit d’évoquer cette œuvre, il est impossible de ne pas penser à l’adaptation cinématographique de François Ozon. Malgré une première version au cinéma en 1960 sous le titre « La nuit des suspectes » par Victor Merenda, c’est surtout le film d’Ozon et son sublime bouquet d’actrices qui demeure inoubliable.

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Image: Théâtre Alchimic

Il n’est pas évident pour un metteur en scène de créer quelque chose de différent derrière un tel succès. Jean-Gabriel Chobaz fait ainsi une proposition très intéressante. En décalant l’action au début des années 70 (contrairement au film d’Ozon qui a respecté l’époque d’origine, autour des années 50), Monsieur Chobaz donne une autre dimension à l’intrigue qui épouse divinement bien le contexte de cette époque et de ses bouleversements post soixante-huitards. Evoquant son projet de mise en scène, il raconte :

« L’intérêt ici au niveau du jeu est donc bien la présence de trois générations qui implique trois façons de jouer, de bouger sur scène, d’investir l’espace et de dire le texte, car le théâtre évolue. Cela m’intéresse beaucoup. Je vais donc tenter de malaxer ces diverses substances et talents pour en faire un ensemble homogène et c’est ce qui est le plus passionnant. »

Et l’on peut dire que le pari est amplement réussi. C’est avec bonheur que le temps imparti file, ponctué par le superbe jeu des actrices. S’agissant là de l’élément-clé sur lequel toute la pièce s’appuie, mention spéciale doit être donnée pour leur talent. Les moments chantés sont particulièrement savoureux, de « Papaoutai » (Stromae) à « Déshabillez-moi », ponctués de petites chorégraphies drôles et enthousiasmantes.

8 femmes est d’abord une ode au genre féminin et aux actrices. Dans ce monde en vase-clos où les hommes sont absents, l’explosion des convenances peut prendre toute sa place. Comédie grinçante et caustique, cette mise en scène rend avec brio toute la beauté qui tient à son côté intemporel et c’est avec un plaisir non coupable que nous assistons en voyeurs invétérés à l’éclatement des non-dits et des apparences.

Texte: Oscar Ferreira

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