La photographie outil de liberté

Les belles photos des lauréats du premier Prix de photographie des droits de l’homme, créé cette année par la Fondation Act on Your Future en collaboration avec Human Rights Watch, sont à voir jusqu’au jeudi 17 décembre à la Galerie Art Bärtschi & Cie à Genève. Les étudiant(e)s ou ancien étudiant(e)s de l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne ont travaillé sur le thème de la liberté d’expression.

La photographie est une réaction immédiate” disait Henri Cartier-Bresson en comparant la force de ce moyen avec l’art graphique. Encore aujourd’hui, même dans nos sociétés bombardées d’images, cette phrase résonne vrai et révèle une fois de plus le rôle primordial de la photographie et de son pouvoir de communication dans le domaine sensible de droits humains. C’est dans cette conscience que s’est ouverte, symboliquement le 10 décembre, lors de la Journée internationale des droits de l’homme, l’exposition des travaux des cinq lauréats du Prix de photographie de droits de l’homme. Inscrit dans une série d’initiatives nées des synergies entre expression photographique et et action humanitaire, (les concours de Amnesty International, Anthropographia, Human Rights Watch) ce nouveau concours a le but spécifique de stimuler la réflexion artistique des étudiants en art sur des enjeux sociétaux actuels.

Sur le thème de la liberté d’expression les jeunes photographes sélectionnés ont mis en place des projets forts et de haute qualité, chacun ancré dans l’histoire et les intérêts personnels des artistes.

Yann Gross, le gagnant de ce prix, s’est soigneusement penché sur des problématiques identitaires, interculturelles et écologiques liées à l’historie des indigènes brésiliens du Mato Grosso do Sul. Ces gens, dérobés de leur territoire ancestral, luttent depuis des années contre les propriétaires terriens pour rétablir leur droit à la terre et à l’existence. Le projet Tekoha (terres en langue Guarani) s’intègre dans un projet plus large et dans un engagement de partage et collaboration de l’artiste avec ce peuple. Ses images, imprimées sur un papier bagasse fragile, résidu fibreux de la canne à sucre, sont frappantes et rendent avec lucidité la force silencieuse de la lutte contre l’injustice.

Yann Gross. Pjoto: Anna Maria Di Brina
Yann Gross. Pjoto: Anna Maria Di Brina

Pendant six mois passés en Chine, la photographe Alma Cecilia Suarez à été confrontée à la censure. Elle assemble une installation poignante où, aux images de presse officielles montrant l’Assemblée générale de l’ONU qui le 10 décembre 1948 adopte la Déclaration Universelle des Droit de l’Homme, est superposée une vidéo amateur témoignant d’un vrai épisode d’entrave à la liberté d’expression qui s’est passé à Pekin, sur la Place Tian’anmen, en 2013. À travers son œuvre complexe elle montre ainsi la nette opposition entre la vision idéaliste occidentale, fixe et solennelle, et la réalité de certains pays où l’espoir pour une société libre réside seulement dans les vidéos et les images interdites.

Le photographe suisse Younès Klouche parle aussi d’interdiction et de secrets. Il produit un beau livre, son travail de diplôme « Trust Magnum » où il s’engage dans une recherche documentaire sur la Suisse centrale et ses paradis fiscaux. Ses photos, d’une grand qualité visuelle, capturent des détails qui suggèrent, comme des petites pièces perdus d’un puzzle, une réalité plus grande et cachée qu’on n’a pas le droit de voir. Parties de barrières, portes fermées, vitres teintées ainsi que les détails des enseignes et silhouettes des employés, pris dans des angles visuels inhabituels, semblent nous avertir que ces hommes gris ont bien quelques affaires peu claires à cacher. Le bâtiment de l’entreprise Glencore, géant du commerce de matières premières qui se trouve hors du centre de Zoug, est un sujet privilégié de ces photos. Portrait en couleurs qui progressivement disparaissent (métaphoriquement, comme les info qu’on a sur l’entreprise) et en lignes droites imposantes, il devient sous la caméra de Klouche un objet métaphasique qui nous interroge et nous trouble. Magnifiques sont les effets de scintillements de la lumière sur les voitures de luxe, qui rendent avec puissance la violence dominatrice et éblouissante de l’argent.

Puissance de l’argent et rapport entre le spectacle et le pouvoir sont les sujet abordés par le tessinois Simone Cavadini. Avec ses photographies grand format de deux grands plateaux de tournage d’émissions de Mediaset – la plus grande télévision privée italienne, propriété de Silvio Berlusconi  – il nous montre clairement comment la rhétorique du pouvoir utilise des structures hyper-baroques et leurs excès visuels afin d’assurer le consensus des spectateurs.

Enfin Laurence Rasti, née a Genève de parents Iraniens, s’intéresse aux problématiques d’identité et de genre. Avec son projet « Il n’y a pas d’homosexuels en Iran » elle nous propose avec humour et espoir une narration visuelle sur le dur sujet de l’homosexualité en Iran, où les homosexuels sont encore condamnés à la peine de mort.

Le concours fait son travail, il engage des jeunes talentueux à s’interroger et à s’exprimer sur des thèmes sensibles, il suscite l’intérêt des gens, les informe et les sensibilise. C’est donc avec tout l’espoir qui règne dans la salle accueillante de la Galerie Art Bartschi & Cie qu’on souhaite la bienvenue au Prix de photographie des droits de l’homme et on invite tout le monde à aller voir cette exposition, en place jusqu’au 17 décembre.

Texte : Anna Maria Di Brina

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