Jusqu’au 3 février 2019, le Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire de Genève rend hommage à la Société suisse de gravure par une exposition qui retrace un siècle de création imprimée suisse et internationale.
Texte: Emmanuel Mastrangelo

Markus Raetz, « Ein Auto und einige Menschen auf der Strasse », 1977. Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire. © 2018, ProLitteris, Zurich
Alice Bailly, Cuno Amiet, Ernst Ludwig Kirchner, Paul Klee, Hans Arp, Alberto Giacometti, Max Bill, Sam Francis, Meret Oppenheim, Georg Baselitz, Claes Oldenburg, John M Armleder… Tous ces artistes ont en commun d’avoir réalisé une œuvre pour la Société suisse de gravure. Une pléiade de grands noms à laquelle de nombreux artistes contemporains rêveraient d’appartenir… De la première estampe éditée en 1918, « Paysanne s’habillant » d’Édouard Vallet, à la lithographie « Sans titre » de Wade Guyton (2017), la Société suisse de gravure, fondée à Zurich en 1917, n’a cessé de s’engager en faveur de la création artistique en Suisse, et, à une époque où le statut d’œuvre d’art de la pièce reproduite en plusieurs exemplaires n’allait pas de soi, d’encourager les artistes contemporains à la réalisation d’estampes. Se tenant délibérément en dehors du marché de l’art et refusant la spéculation, elle édite les œuvres en cent vingt-cinq exemplaires, réservés aux membres de la Société et interdits de revente. Produisant des artistes suisses renommés, tels que les déjà mentionnés Armleder, Meret Oppenheim et Max Bill, mais aussi Markus Raetz, Philippe Decrauzat et Claudia Comte, elle s’ouvre dès les années vingt à des créateurs étrangers étroitement liés à la Suisse, comme Paul Klee, Ernst Ludwig Kirchner ou Emil Nolde, puis dès 1973 avec Sam Francis, figure de l’abstraction lyrique américaine, à des artistes sans lien avec la Suisse. Cette ouverture se généralise dans les années quatre-vingt, qui voient l’avènement d’une globalisation qui estompe les spécificités nationales des courants artistiques. La Société, qui dès 1925 édite Alice Bailly, cherche également à mettre en avant les femmes et les artistes émergents. Les techniques, longtemps limitées à celles de la gravure traditionnelle, xylographie, taille-douce, lithographie, se sont peu à peu élargies à la sérigraphie, à la photographie, aux impressions à jet d’encre, ainsi qu’aux techniques mixtes. Les collections de la Société, élargissant le champ de l’estampe conventionnelle, comprennent aussi des livres illustrés, des portfolios, ou des œuvres pluridisciplinaires.

Claudio Moser, « Instrumental », 2001. Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire. © 2018, ProLitteris, Zurich, photo : André Longchamp.
La Société suisse de gravure fête son siècle d’existence par des expositions dans différentes villes suisses, qui présentent chacune un fonds propre. Parmi les deux cent cinquante-cinq œuvres de deux cent vingt artistes reconnus sur le plan national et international éditées par la Société, et couvrant tous les mouvements esthétiques, le Cabinet d’arts graphiques en présente quelque cent cinquante pièces. D’emblée, le spectateur est ébloui par la diversité technique et expressive des œuvres, et par l’audace et l’esprit d’ouverture de la Société. L’exposition s’organise autour de quatre thèmes majeurs.

Ian Anüll/ Paul Klee. « Specimen ». Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire. © Ian Anüll
La figure humaine, d’abord, garde une importance primordiale, par les questions existentielles qu’elle soulève. La photographie, ensuite, qui entretient depuis les années soixante un lien de plus en plus étroit avec l’estampe, a gagné une place particulière dans les collections de la Société ; son utilisation peut intervenir à différentes étapes du processus créatif, de l’inspiration visuelle à la technique de tirage ou d’impression. L’approche traditionnelle de la gravure, dont la limitation à deux éléments, la ligne et l’aplat, suscite une variété expressive sans cesse renouvelée, n’est pas pour autant reléguée au second plan. Enfin, la relation entre l’estampe et l’espace se retrouve dans une approche de la gravure par des sculpteurs (Alberto Giacometti, Germaine Richier), ainsi que par des réalisations tridimensionnelles. Le parcours se termine ainsi par deux œuvres mixtes, « Crash » de Vincent Kohler et « Untitled » de Shahryar Nashat, qui débordent largement de l’idée que le visiteur se fait de l’estampe, et en rafraîchissent la pratique par une approche conceptuelle et ludique.
Exclusivement contemporain
Cabinet d’arts graphiques du Musée d’art et d’histoire, Genève
Jusqu’au 3 février 2019
www.institutions.ville-geneve.ch/fr/mah