Le 24 novembre, le metteur en scène Dan Jemmet présentait sur la scène de la Maison des Arts du Léman sa dernière création, une adaptation de la Nuit des Rois. Shake suit avec malice les caractéristiques typiques du théâtre de William Shakespeare : interprétations multiples, quiproquos, ambiguïté, travestissement. La mise en scène est moderne, détonante, audacieuse, culottée, mais ne perd jamais le fil. Du grand Shake…Speare !
A l’origine de cette pièce est un triangle amoureux. Le point central est Viola – travestie en homme et adoptant le nom de Césario pour tenter de retrouver son frère jumeau perdu pendant un naufrage en mer. Césario est missionné par le Duc Orsino d’aller plaider son amour auprès de la Comtesse Olivia qui a repoussé ses avances. Mais Olivia tombe sous le charme de Césario/Viola, elle-même en amour pour Orsino. La mélodie des sentiments est mal orchestrée. Seul le retour de Sebastien, frère jumeau de Viola apportera la fin espérée à ce quiproquo amoureux.Dans un tel méli mélo de sentiments, Dan Jemmet s’en est donné à coeur joie pour offrir un spectacle au rythme fou et à l’humour percutant.
Cinq comédiens se partagent les dix-sept personnages de la pièce, offrant une belle galerie de personnages: la comtesse en deuil, un duc transi d’amour sous ces airs de macho, des sirs saouls et farceurs, un intendant fier et naïf, une poupée ventriloque et un bouffon philosophe qui raconte des blagues à la Thommy Cooper sur un ton cynique. La véracité des personnages est solide tant l’interprétation des comédiens est virtuose et juste. Antonio Gil Martinez campe tour à tour le Duc Orsino et l’intendant fantasque. Vincent Berger interprète Sir Toby et Sir Andrew, au phrasé et manières populaires. Et le travestissement, thème central de la pièce de Shakespeare trouve éloge dans l’incarnation de Césario et Viola par Delphine Cogniard.
Des cabines de bains de la plage de Brighton d’où les personnages apparaissent et disparaissent servent de décor et d’accessoire à la fantaisie. La porte de la cabine du bouffon Fest le Fou s’ouvre à dose bien rythmée et anime la pièce de la musique de son tourne-disque. Les comédiens font des entrées fracassantes et des sorties qui se voulaient dignes mais qui s’avèrent burlesques. De cette mince limite entre le sérieux et la comédie finement maîtrisé est issu ce sourire permanent que nous procure cette pièce. Et quand la limite est généreusement franchie le public se laisse aller en rires sincères à la folie et excentricité des scènes, des personnages et des musiques qui transforment alors le théâtre bondé en grand music-hall.
Texte: Julia Faivre