Rendez-vous à 15 heures 20 sur l’esplanade de la cathédrale. Mais est-ce que les amoureux des lettres le seront assez pour braver la neige qui tombe à gros flocons et passer une heure trente à parcourir Lausanne dans le froid en compagnie d’Ariane Devanthéry, Victor Hugo, Rousseau et les autres écrivains voyageurs qui passèrent par là un jour ? Eh bien oui !
Nous sommes entre quarante et cinquante à nous rassembler devant la cathédrale, encore plus belle en manteau blanc, pour écouter Ariane Devanthéry nous parler des voyageurs qui s’arrêtèrent plus ou moins longtemps dans cette ville. Textes à l’appui nous entrons en matière en 1687 avec Burnett, un anglican qui accompagnait en tant que précepteur un jeune aristocrate lors de son Grand Tour. Le Grand Tour, qui durait entre un et deux ans, était indispensable à l’éducation des jeunes bourgeois qui souhaitaient embrasser une carrière dans les relations internationales: ils se créaient leur réseau sur place, ou pour plus tard, car ceux qui avaient effectué ce voyage auraient les mêmes références et se « reconnaîtraient ». Leur but est souvent l’Italie, mais en chemin ils s’arrêtent parfois des mois dans une ville ; ils vont à la rencontre de la population, prennent le temps de connaître les lieux, de parler de leurs écrits et de ceux des autres. On se sent presque rougir lorsque Ariane Devanthéry lit le texte de Burnett : la Suisse et ses habitants sont toujours décrits dans des termes élogieux : la première un eldorado magnifique, les seconds généreux et accueillants.
On se déplace sur l’esplanade, d’où la vue est majoritairement blanche. Et on apprend des anecdotes intéressantes au passage, comme le fait qu’au Moyen-Âge la cathédrale était traversée par un passage routier, ou que certains récits décrivaient très sérieusement les différentes sortes de dragons qui vivaient dans les Alpes.
Mais il commence à faire rudement froid et l’on se dit que les voyageurs émerveillés n’étaient sûrement pas venus en janvier… après un vote à main levée la visite se poursuit bien au chaud dans le musée historique.
On apprend que les voyageurs commencent à utiliser les récits de leurs prédécesseurs comme des sortes de guides. Ils prennent avec eux un coffre de livres, des classiques mais aussi ces récits, qu’ils relisent sur place, comme pour vérifier par eux-mêmes ce qui y est dit.
Avec sa « Nouvelle Héloïse », Rousseau a beaucoup fait pour l’histoire du voyage en Suisse. C’est la première fois qu’une génération de lecteurs part pour se rendre sur les lieux non plus d’autobiographies ou de poèmes mais d’une fiction. Rousseau voulait situer son roman dans le plus beau lieu qu’il connaisse, pour qu’il soit en adéquation avec la beauté intérieure de ses personnages. Alors certains seront déçus en découvrant Clarens, d’autres touchés par le même émerveillement que l’auteur. Une vague d’écrivains Romantiques passe par la Suisse, et « si l’on devait tous les citer, on n’ aurait pas fini ».
Les choses se gâtent au milieu 19ème siècle : les voyages deviennent plus courts, trop de monde passe sur ces routes. La qualité du voyage en pâtit, ont parle alors de tourisme… et parallèlement les écrits sont beaucoup plus critiques, autant contre la Suisse que contre cette manière de voyager.
Ariane nous laisse en 1948, avec « Rêver à la Suisse », un texte d’Henri Calet. Le ton est à nouveau admiratif, mais on croit deviner un brin d’ironie aussi, vu ce qu’il décrit avec passion : les différentes toilettes qu’il visite, les lacets de chaussure d’un contrôleur…
Sans réveiller mon chauvinisme lausannois –avouez quand-même que c’est une belle ville, remplie d’histoire et de culture, visitée par les plus grands…- cette visite organisée par l’association Tulalu!? m’a donné envie de me plonger dans ces textes, que près de 300 ans séparent et qui livrent des impressions de voyage dans cette même région.
Texte: Katia Meylan