Jusqu’au 18 avril, Dom Juan de Molière s’invite au Théâtre St-Gervais de Genève dans une version folle et frénétique, réécriture de Christian Geoffroy Schlittler.
Sur le plateau transformé en jardin de plaisance, au jour de la mort du Che, les aventures du séducteur prennent des allures de vaudeville, dans lequel les rôles sont inversés : c’est Elvire qui, fuyant les chaines du mariage, annonce à Don Juan la fin de leur histoire. À l’instar du héros moliéresque, elle revendique sa liberté : perspective délicieuse qui dynamise les rapports et réactualise le texte. Elodie Bordas, qui porte le début de la pièce dans le rôle d’une Elvire volubile, bourgeoise des sixties, est saisissante.
D’abord contrarié, Don Juan ne peut cependant pas retenir son rire bien longtemps et les masques tombent. Elvire veut faire revenir Don Juan, la bonne Charlotte (Dianne Müller) éconduit le pauvre Pierrot (Olivier Yglesias), Ana (Julie-Kazuko Rahir), la fille du Commandeur, revient se venger, Sganarelle (Alain Borek) couvre son maître… L’univers donjuanesque se reconstruit pour mieux se désintégrer. Dans cette mise en scène, point de mythe : David Gobet compose parfaitement un Don Juan si blasé et nihiliste, au point de ne plus croire en lui-même, que le personnage se vide de toute consistance. Ce qui est en jeu, au cœur de ce plateau désorganisé, ce chantier, c’est le théâtre et la fiction, dont le metteur en scène s’amuse à démonter les codes. Une aventure audacieuse, que les acteurs emprunte avec enthousiasme dans une partition subtile et bien maîtrisée. De la pièce initiale, C’est une affaire entre le ciel et moi conserve le brillant équilibre entre comédie et tragédie. Et pousse à l’extrême le nihilisme de Don Juan, dépassant les considérations sociales et religieuses. Les personnages hésitent, ne sachant plus comment réagir. Ce doute, interrogeant le principe de fiction et les limites de la mise en scène, s’insinue dans la scénographie. Et finit par contaminer le public…
Texte: Marie-Sophie Péclard